Le Royaume

Emmanuel Carrère

P.O.L.

  • Conseillé par
    11 juin 2016

    C'est érudit et extrêmement documenté, tout en restant du domaine du possible, comme le précise son auteur. C'est aussi du Carrère et son immuable petit copain, dénommé son nombril.
    C'est surtout une revisitation du Nouveau testament, remis dans son contexte historique, sociétal qui fait que je n'écouterai plus un texte de Saint Luc de la même façon. On touche du doigt ces Saints Apôtres très convaincus, bien sûr, mais finalement tellement humains.
    gracedubois


  • Conseillé par
    27 octobre 2015

    Evangiles

    De l’auteur, j’avais beaucoup aimé "D’autres vies que la mienne" et "Limonov" . Je me faisais une joie de lire cette somme, attendant le bon moment.

    Mais voilà, la sauce n’a pas pris cette fois. C’est uniquement de ma faute, je n’avais sans doute pas l’esprit entièrement disponible pour cette lecture.

    Baste, je me rattraperai avec le prochain de Monsieur Carrère.

    http://alexmotamots.wordpress.com/2015/10/25/le-royaume-emmanuel-carrere


  • Conseillé par
    14 octobre 2014

    Passionnant et dérangeant

    Que les membres du jury Goncourt aient pris la décision de ne pas le retenir dans leur sélection n'y change rien : c'est à juste titre que ce livre d'Emmanuel Carrère a été presque unanimement encensé par la critique. Pour ce qui me concerne, c'est avec des sentiments mêlés de curiosité et d'appréhension que j'en ai entrepris la lecture, appâté précisément par le nombre de commentateurs qui le désignaient comme le grand livre de cette rentrée littéraire de septembre 2014. Curiosité parce qu'il est question de ce qui me tient à cœur : le Christ, l'Evangile, la foi chrétienne, les premiers témoins de la foi. Appréhension parce que je me doutais qu'il ne s'agissait en rien d'un ouvrage apologétique, mais d'un récit critique qui, peut-être, ébranlerait peu ou prou le socle de mes propres convictions.


    Le livre à présent lu, ma curiosité évidemment n'a plus lieu d'être. Quant à mes craintes, elles ont laissé place au seul plaisir d'avoir été en quelque sorte, le temps de ma lecture, le compagnon de route d'un écrivain qui écrit comme un honnête homme. Et que ce dernier se présente comme un incroyant ne m'a pas déstabilisé, mais m'a contraint à un bel effort de réflexion dont je n'ai qu'à me féliciter. Rien de tel, pour un croyant, que de se confronter à la pensée de celui qui affirme ne pas croire !
    Car c'est un livre passionnant que « Le Royaume », le livre composite d'un homme qui se souvient d'avoir été croyant, il y a de cela une vingtaine d'années, et qui, tout en exprimant son effarement, ne cesse de s'interroger lui-même et, du même coup, de nous interroger, nous, les croyants d'aujourd'hui. Comme disait un de ses amis, « c'est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne... » (p. 13). Cela paraît tellement déraisonable en effet que, lorsque Emmanuel Carrère explore sa conversion de 1990 et ses propres années de croyant, il le fait constamment sur le ton de la surprise et de la consternation. La lettre qu'il écrivit à sa marraine au moment de sa conversion lui semble aujourd'hui « sonner faux » (pp. 54-55). De même les méditations qu'il écrivait sur l'Evangile de Jean et qui, lorsqu'il les relit, le plongent dans la stupéfaction ! (pp. 60 et ss.).
    Devenu donc, comme il le dit, « un sceptique, un agnostique », s'il affirme aussitôt « s'en porter bien », il n'en éprouve pas moins le besoin, voire la nécessité, de rouvrir le dossier et d'enquêter sur les origines et la singularité du christianisme. Nous sommes prévenus, ce qu'il entreprend, c'est à la manière d'un de ceux qu'il considère comme un maître et dont les ouvrages restent toujours à portée de sa main, Ernest Renan. Comme ce dernier, il se lance dans l'aventure de relire, d'explorer et d'interpréter en non-croyant non pas tant la vie de Jésus, mais les premiers âges du christianisme (ou de ce qu'on appellera plus tard le christianisme). Et il le fait en empruntant deux portes, comme il le dit, c'est-à-dire en suivant les pas de deux des plus grands témoins du christianisme naissant, Paul et Luc.
    Encore une fois, je le dis et le répète pour ceux de mes lecteurs qui sont croyants, acceptons de bonne grâce que les Lettres de Paul, le livre des Actes des Apôtres et l'ensemble du Nouveau Testament puissent être lus et examinés autrement que d'une manière apologétique. Il sera même bon et profitable à plus d'un de lire des commentaires et des supputations autres que celles auxquelles on est habitué. Pour d'autres, il est vrai, les allégations faites par l'auteur du « Royaume » seront probablement perturbantes ou provoqueront une réaction de rejet.
    Pour ce qui me concerne, j'ai apprécié d'être bousculé, malmené par le voyage entrepris en compagnie d'Emmanuel Carrère et par le regard peu orthodoxe qu'il porte sur ces deux grandes figures que sont Paul et Luc. Suivre les pas de ces derniers, c'est aussi (et surtout quand ils'agit de Luc), s'aventurer sur le terrain glissant des hypothèses. De Luc, on sait en vérité bien peu de choses. Mais Emmanuel Carrère choisit pourtant de s'attacher à sa personne et, du même coup, d'émettre nombres de suppositions. Le travail qu'il fait est à la fois travail d'exégète, d'historien et de romancier. Mais c'est avec sérieux qu'Emmanuel Carrère avance des hypothèses au sujet de Paul et surtout de Luc. Jamais elles ne sont gratuites ! Au contraire, il justifie soigneusement chacune d'elles et ne craint pas d 'énoncer, si besoin est, les autres hypothèses possibles. « Paul était un génie, écrit-il, planant très loin au-dessus du commun des mortels, Luc un simple chroniqueur qui n'a jamais cherché à s'exempter du lot. » (p. 486). Face à la majesté et à la rudesse de Paul, Luc est décrit en effet comme l'homme de la conciliation, celui qui « pense que la vérité a toujours un pied dans le camp adverse. » (p. 466). Evidemment, personne ne sera contraint d'accepter béatement les portraits ainsi tracés par l'auteur, mais il faut admettre qu'ils sont toujours fondés et solidement étayés.
    Et puis, Emanuel Carrère ne manque pas une occasion de rappeler au lecteur que c'est lui qui raconte et qu'il ne prétend nullement imposer sa lecture à qui que ce soit. Le recours fréquent à la première personne du singulier, au « je », a, paraît-il, agacé l'un ou l'autre critique, parmi lesquels Bernard Pivot, reprochant à l'auteur du « Royaume » le péché d'égoïsme. Mon Dieu ! Il me semble au contraire que c'est là une des grandes qualités de ce livre. Plutôt que de suivre la route tracée par nombre de romanciers écrivant des œuvres à fondement historique et qui rédigent soigneusement leur œuvre sans jamais user du « je », de peur de rappeler au lecteur que ce qu'il lit n'est rien d'autre qu'un regard singulier, celui d'un homme (ou d'une femme, car je pense, entre autres, à Marguerite Yourcenar écrivant « Mémoires d'Hadrien »), Emmanuel Carrère ne manque pas une occasion de dire et de répéter que c'est lui qui écrit, racontant volontiers des épisodes de sa vie et de son cheminement. C'est une des raisons qui me font dire que, décidément, « Le Royaume » est l'ouvrage d'un honnête homme.
    Un honnête homme qui sait très bien, d'ailleurs, que ce qu'il raconte, que ce qu'il affirme, s'arrête précisément là où commence le mystère de la foi. Il a conscience, et il le dit, d'écrire le plus souvent, à la manière des « sages et des savants » dont Jésus recommandait de se méfier. Les dernières pages du « Royaume », cependant, nous font entrevoir autre chose, une autre réalité, celle qui demeurera toujours mystérieuse et qu'on trouve chez les « plus petits », en l'occurrence, pour Emmanuel Carrère, à l'Arche de Jean Vanier. « Ce livre que j'achève là, dit-il, je l'ai écrit de bonne foi, mais ce qu'il tente d'approcher est tellement plus grand que moi que cette bonne foi, je le sais, est dérisoire. Je l'ai écrit encombré de ce que je suis : un intelligent, un riche, un homme d'en haut : autant de handicaps pour entrer dans le Royaume. Quand même, j'ai essayé. » (p. 630).