sandrine57

Lectrice compulsive d'une quarantaine d'années, mère au foyer.

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17 mai 2021

Quel lien peut-il y avoir entre l’assassinat d’une vieille aristocrate en Ecosse, celui d’un paléontologue à Paris et le cambriolage de l’appartement de Kenji Mori, au-dessus de la librairie de la rue des Saints-Pères ?
A priori aucun et pourtant il semblerait bien qu’une coupe javanaise, propriété de Mori et dérobée lors du cambriolage, soit à l’origine d’une vague de meurtres qui secoue Paris en ce mois d’avril 1892. Malgré le danger évident, Victor Legris se lance dans l’enquête, afin, peut-être, d’oublier les soupçons qu’il entretient au sujet de la fidélité de Tasha…Evidemment, Joseph le commis l’assiste dans ses investigations, voyant là un éventuel sujet pour le roman policier qu’il ambitionne d’écrire pour connaître la gloire, la richesse et être un prétendant à la hauteur de la belle Iris et surtout de son père, Kenji Mori.
Les deux compères parcourent donc les rues de la capitale, des beaux quartiers aux pires coupe-gorges, sur les traces de cette petite coupe, suivis de près par l’assassin, bien décidé à mettre la main sur ce qu’il appelle ‘’la flétrissure’’, quitte à occire quiconque se mettrait en travers de sa route.

Une coupe des plus exotiques, des cadavres tués par balle, une enquête très dangereuse pour Victor, le libraire et Joseph, son commis. Mais si on lit leurs aventures, c’est surtout pour s’immerger dans le Paris de la fin du XIXè siècle. Une ville grouillante d’activités où le beau linge côtoie la misère des chiffonniers, des placiers, des brocanteurs, des bouquinistes, des chanteuses de rue. Entre petits métiers aujourd’hui disparus, crises politiques et menaces d’attentats anarchistes, Paris nous est décrit dans toute sa diversité, son bouillonnement, sa crasse et ses dorures.
Avec ses dialogues savoureux, ses descriptions réalistes et ses personnages attachants, cette série est un petit bonheur de lecture, une plongée revigorante dans notre passé. Toujours plaisant et efficace.

Conseillé par
16 mai 2021

Sous-chef au Liner, un restaurant de poissons new-yorkais, Tommy Pagano n’a pas pour seul souci de réussir sa sauce beurre blanc. Il doit pallier les retards et absences de son chef accro à l’héroïne, supporter les lubies de son patron, Harvey, un dentiste juif reconverti dans la restauration et, surtout, il doit éviter les ‘’affaires’’ auxquelles veut le mêler son oncle Salvatore Pitera, dit ‘’Sally la Moumoute’’, 135 kilos d’amour familial et de combines mafieuses. Tommy, passionné de cuisine qui caresse le rêve d’être, un jour, le chef de son propre restaurant, s’est toujours soigneusement tenu à l’écart du milieu malgré les sollicitations de Sally. Mais quand son oncle lui demande un petit service, il ne peut refuser. Le frère de sa mère s’est toujours occupé de lui, a payé ses études et lui a obtenu cette place au Liner. Alors Tommy dit oui et se trouve mêler malgré lui à un crime de sang. Bientôt, il a le FBI sur le dos et un gros dilemme sur la conscience : faut-il dénoncer son oncle, profondément peiner sa mère et s’attirer l’ire de la ‘’Famiglia’’ ou doit-il respecter l’omerta et risquer lui-même la prison ?

Ecrit par l’irrévérencieux animateur télé et chef cuisinier Anthony Bourdain, La surprise du chef est un polar sans autre prétention que de divertir en mêlant gastronomie et mafia. Les traits sont gros, les mafieux sont caricaturaux, l’hémoglobine coule à flots et les situations comiques s’enchaînent pour le plus grand plaisir du lecteur qui voit défiler la fine fleur de la mafia new-yorkaise, des hommes parfois ridicules (la moumoute en ‘’vrais cheveux’’ de Sally), forts en gueule, à la réussite ostentatoire (grosses voitures et chaînes en or) et qui n’hésitent pas à punir sévèrement les balances et autres gêneurs. Au milieu de cette famille envahissante, le jeune Tommy se démène pour garder un casier vierge, ne pas froisser le parrain local, Charlie ‘’Les Camions’’ et mijoter de bons petits plats dans un restaurant qui tient financièrement grâce aux prêts usuriers accordés par la mafia à un patron totalement dépassé par les évènements.
Rien de sérieux donc, mais un polar qui tient la route avec sa grosse dose d’humour, ses passages réalistes en cuisine ou à table, ses descriptions des mafieux réunissant tous les codes de leurs activités et la gouaille new-yorkaise des personnages aux surnoms évocateurs. Divertissant.

Éditions Gallmeister

26,40
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13 mai 2021

Une rencontre au détour d’un cimetière, un moment d’égarement, une grossesse, un mariage réprouvé par le père de la mariée et un nouveau départ sur les routes des Etats-Unis. Ainsi commence la vie de couple d’Alka Lark, la blanche américaine et de Landon Carpenter, son époux Cherokee. Un mariage ‘’contre-nature’’ mais prolifique. Au fil de leur déplacement, Alka met au monde huit enfants. Deux décèdent très tôt, six grandissent en nomades jusqu’à l’installation de la famille en Ohio, à Breathed. Alka voulait retrouver ses racines, s’ancrer dans un territoire qu’elle connait. Ils investissent donc une vieille bicoque entourée de nature mais continuent à vivre en marge d’une société qui rejette, les sang-mêlés. A côté de ses sœurs blondes comme les blés, Betty, sixième enfant du couple, a hérité du teint mat et des cheveux noirs de son père qui l’appelle ‘’ma petite indienne’’. Une petite indienne moquée par ses camarades de classe, brimée par les instituteurs mais forte de sa complicité avec sa sœur Fraya et de la bienveillance d’un père adoré, vénéré, mémoire de ses ancêtres, conteur imaginatif et proche de la nature. C’est auprès de lui, de la rivière, des arbres, des plantes, que Betty vit dans l’insouciance d’une enfance sauvage malgré les tentatives de domestication des blancs bon teints de Breathed. Pourtant, le bonheur semble fuir les Carpenter. Très jeune, trop jeune, Betty devient la dépositaire des secrets les plus terribles de la famille. Alka, entre autres, ne lui épargne rien de ses souffrances, lui confiant ses pires cauchemars. Mais Betty est une battante, une guerrière, qui saura faire fi du rejet, du racisme, des chagrins, des pertes, pour se faire un chemin dans un monde hostile parfois, mais aussi rempli de magie, de rêve et d’espoir.

Enorme coup de cœur pour le roman de Tiffany McDaniel qui s’est inspirée de la vie de sa mère, Betty, pour nous raconter une histoire lumineuse malgré des thèmes durs, comme le racisme, les violences faites aux femmes, la pauvreté, le rejet, le suicide, …
Opposés à la noirceur des âmes mauvaises, Betty et son père Landon sont les soleils de ce roman. La guerrière cherokee et son merveilleux père illuminent les pages de leur bonté et de leur volonté à toujours chercher, et trouver, la beauté dans la laideur, le cœur sous la carapace. Landon est né pour être père et il veille sur ses enfants en leur prodiguant des conseils avisés, l’amour de la nature, le sens de la vie. Pourtant, malgré ses soins constants, parfois l’essentiel lui échappe. Des drames se nouent sous ses yeux fermés et que personne ne veut lui ouvrir, pour le ménager, le préserver, ne pas abattre ce chêne qui soutient la famille. Alors Betty prend sur elle cette charge secrète et monstrueuse. Betty n’est pas féminine comme Flossie, elle n’est pas douce comme Fraya, c’est une guerrière indienne, la mémoire de son peuple, de ses ancêtres femmes qui détenaient le pouvoir au sein de la tribu. Betty espère, rêve, lutte et surtout elle écrit. Elle jette sur le papier le trop plein d’émotions, de violences, de malheurs. Elle enterre les enfances saccagées, les viols, les coups, les injustices, les morts. Ses mots effacent les maux, soignent les blessures, dénoncent la perversité des hommes.
Roman de la transmission, ode à la nature qui réserve autant de bouffées d’optimisme, de poésie que de passages durs, cruels, Betty est une pépite, un moment de lecture privilégiée qui fait aimer la littérature pour ce qu’elle est : des mots qui font voyager, découvrir, des phrases qui émeuvent, qui révoltent, des personnages inoubliables, des textes qui se gravent dans la mémoire, qui font réfléchir et aimer.
S’il ne fallait lire qu’un roman cette année, ce serait celui-ci.

Raluca ANTONESCU

La Baconnière

Conseillé par
11 mai 2021

Gouffre du diable, Jura, 1911. Une femme implore le ciel ou l’enfer de la débarrasser de l’enfant qu’elle porte.
Jura, 1923. Rejetée par son père qui l’accuse d’avoir tué sa mère, Aloïse grandit en marge de la famille, enfant sauvage qui se nourrit de baies et pose des pièges dans la forêt.
Île-de-France, 1967. Amalia emménage dans un nouveau lotissement. Après avoir grandi dans une ferme, au milieu des bêtes et des odeurs, elle touche enfin le bonheur du doigt, dans un environnement aseptisé, une nature domptée.
Genève, 2007. Vivian vient de perdre sa mère. Son deuil est douloureux, elle se sent vidée, anesthésiée. Désormais seule, il ne lui reste plus que son beau-père qui l’invite fréquemment dans le jardin ouvrier qu’il cultive avec amour.
Patagonie, 2007. Catherine plante des arbres. Une entreprise de reforestation, comme un combat contre des moulins à vent, tandis que les exploitants forestiers continuent de scier, d’abattre, de brûler des arbres.

Quatre femmes liées entre elles par les liens du sang, ou plutôt les liens de la sève qui coule dans leurs veines. Quatre femmes issues de la même tige et qui ont forcé le destin pour s’épanouir. Quatre femmes avec leurs démons, leurs blessures, leurs rapports à la nature. Celle-ci est d’ailleurs le cinquième personnage de l’histoire. Du rapport primaire, presque bestial d’Aloïse avec la terre, les plantes, les animaux aux tentatives d’Amalia pour la contrôler, la domestiquer, la nature est omniprésente, mère nourricière, respectée ou bafouée.
Comme un fil rouge, le gouffre du diable est le symbole de ce que l’homme fait subir à son environnement. Qu’on y enfouisse des cadavres d’animaux ou les obus de la grande guerre, on croit qu’il garde les péchés et les secrets au plus profond de la terre mais le mal s’infiltre, polluant les eaux, faisant remonter à la surface les crimes du passé…
Roman choral, subtil et tendre, Inflorescence est le roman d’une lignée qui se fait par la sève, la preuve d’un atavisme de la terre qui transcende les générations, affleure plus ou moins selon les personnalités, mais ne s’éteint jamais. Un beau livre féminin et terrien.

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9 mai 2021

Sùn-Hyen, haut dignitaire à Hpyeng-Yang, capitale du royaume de Corée, est un homme bon, aimé et respecté de tous, même de son souverain. Mais il s’attire les foudres du Premier ministre, l’infâme Ja-Jyo-Mi, en dénonçant la pauvreté du peuple, quant au palais on festoie allègrement. Soucieux de rester dans les bonnes grâces du roi, dont il espère un jour prendre la place, Ja-Jyo-Mi complote contre Sùn et implique aussi le savant San-Houni, son meilleur ami. Les deux hommes sont bannis et envoyés chacun sur une île isolée de la péninsule coréenne.
Alors qu’il était riche et heureux, Sùn-Hyen voit les malheurs s’abattre sur lui. Sa femme meurt en couches, il devient aveugle à force de pleurer et sa fille, Tcheng-Y, sacrifie sa vie (en vain) pour qu’il recouvre la vue.
De son côté, San-Houni n’arrive même pas sur les lieux de son exil forcé. En pleine mer, il est assassiné par le batelier qui convoite son or et sa femme pourtant enceinte. Celle-ci réussit à échapper au bourreau de son mari, donne naissance à un fils, San-Syeng, qu’elle est contrainte d’abandonner et se réfugie dans un temple bouddhiste.
Des années plus tard, le roi meurt en confiant l’éducation de son fils, Ki-Si, à Ja-Jyo-Mi. Mais celui-ci voit là l’occasion dont il rêvait pour accomplir ses ambitions. Il fait arrêter le jeune roi et le place en résidence surveillée sur l’île de Tchyo-To. A lui le trône et le pouvoir !

Un incontournable pour qui s’intéresse à la Corée et à sa littérature. Le bois sec refleuri est d’abord un vieux conte coréen dont le titre original est Chant de Sim Ch’ŏng. Devenu un roman (l’un des plus anciens de Corée) au XVIIIè siécle, il est traduit ici par Hong-Tjyong Ou qui fut attaché au musée Guimet, à Paris, et en assura la traduction en 1895 afin de mieux faire connaître son lointain pays.
A la fois conte et roman historique, le texte est poétique, empreint de naïveté, véhicule les valeurs de bravoure et de loyauté et rappelle que la roue tourne, que l’on récolte ce que l’on sème et que les mauvaises actions finissent toujours par se payer alors que les bonnes actions seront, tôt ou tard, récompensées. Le bouddhisme n’est jamais loin et les esprits des morts apparaissent en rêve aux héros afin de les guider dans leurs différentes quêtes.
Rafraîchissante, menée tambour battant et d’un intérêt culturel évident, cette petite pépite littéraire se lit comme un roman d’aventures. A découvrir !
Pour l’anecdote, c’est de l’histoire de Tcheng-Y et de son père aveugle que s’est inspiré Sok-yong Hwang pour son merveilleux roman Shim Chong, fille vendue.