Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

https://lecturesdereves.wordpress.com/

Les Pyrénées de Hendaye à Banyuls par le Gr10

Cairn

Conseillé par (Libraire)
5 juin 2023

Jean Eimer a traversé les Pyrénées par le Gr10 dans les années 1980. 39 jours en solitaire dans la montagne laissent des traces dont il a fait le récit dans le journal Sud Ouest et dans un album, La Traversée des Pyrénées (Cairn, 1989). Cette édition reprend son récit en l'augmentant de notes qui n'avaient pas été exploitées dans le cadre du reportage.
Même si son récit n'a pas la précision d'un topoguide, ceux qui ont fait cette traversée constateront que le chemin n'est plus tout à fait le même. Il a subi quelques modifications de tracé, des gîtes sont mentionnées qui n'existent plus et d'autres, nouveaux, ne sont pas cités.

Précisons le niveau du parcours du Gr10 : 922 km, 58.000 mètres de dénivelé positif et négatif, une moyenne de 355 heures de marche en une cinquantaine de jours. C'est le plus complexe et difficile des Gr français.
Il a effectué sa traversée en bivouac, très à l'écoute des personnes rencontrées, des paysages, des écosystèmes, de l'économie. Il rend bien compte de la beauté de la montagne, de l'influence qu'elle a sur la personne qui la traverse, sur son physique, sur son comportement, sur sa philosophie de vie. Il laisse transparaître la réponse à la question de savoir pourquoi on se lance dans une telle traversée, exigeante, rugueuse, mais aussi éblouissante, riche d'enseignements au plan humain. C'est bien pour cela que le randonneur se lance dans cette aventure : pour aller au bout de lui-même, pour se redécouvrir, pour s'enrichir des rencontres des hommes, et aussi de la rencontre avec une nature magnifique, forte et fragile en même temps

Conseillé par (Libraire)
25 mai 2023

Emma Becker explore les méandres du désir féminin pour les femmes et s'intéresse à la construction des identités sexuelles et sensuelles
C'est un rêve érotique et cauchemardesque qui rappelle à Emma l'existence d'Odile qui a été son amie de jeunesse. Elle n'a pas été en contact avec elle depuis près de quinze ans. Grâce aux réseaux sociaux, elle sait qu'elle est vivante, mariée, qu'elle a un enfant, qu'elle vit dans le sud de la France, dans une maison qu'elle connaît.. Elles avaient un endroit secret "derrière un buisson de lentisque" où elle jouait à ce jeu qu'elles avaient inventé "On n’a qu’à dire que je serais un garçon et toi tu serais une fille et on serait amoureux…". On saura tous les détails de "ces moments de battement où aucun jeu sain ne nous vient à l’esprit".
Mais le plus intéressant et le plus excitant est le récit des expériences vécues quand elles sont devenues majeures, qui portent la trace de leurs expériences enfantines. Emma est convaincue que c'est Odile qui a eu sur elle "une influence délétère", quand elle feignait de considérer qu'Emma ne l'intéressait pas, quand elle jouait le rôle du prince dans un remake de La Belle au bois dormant qui a conditionné son rapport à la jouissance, un conte où la femme reçoit et l'homme donne. Son plaisir est de faire jouir l'autre, son plaisir est plus intellectuel que physique. Emma est aussi convaincue que l'homosexualité féminine est naturelle et que l'hétérosexualité est un instinct fabriqué par la société, une construction sociale, "il n'y a pas d'amour pour les hommes qui se fasse sans dressage". Ces deux femmes, et toutes les autres, ont-elles le droit et la possibilité d'avoir une vie sexuelle à elles, dont elles décident et qui les comblent ?.
Dans ce livre, on ressent le plaisir d'écrire d'Emma Becker qui lui permet de comprendre la vie. L'ouvrage explore le désir féminin, hors du regard des hommes et de leur emprise. La conversation d'Emma avec Odile se déroule dans une belle tendresse, sans qu'on sache toujours ce qui est de l'ordre du fantasme, de leur réflexion intellectuelle, de leurs réalités, mais n'est-ce pas là le statut de cette littérature qui n'est pas possible sans la projection, l'imaginaire, la sensualité.

C'est un rêve érotique et cauchemardesque qui rappelle à Emma l'existence d'Odile qui a été son amie de jeunesse. Elle n'a pas été en contact avec elle depuis près de quinze ans. Grâce aux réseaux sociaux, elle sait qu'elle est vivante, mariée, qu'elle a un enfant, qu'elle vit dans le sud de la France, dans une maison qu'elle connaît.. Elles avaient un endroit secret "derrière un buisson de lentisque" où elle jouait à ce jeu qu'elles avaient inventé "On n’a qu’à dire que je serais un garçon et toi tu serais une fille et on serait amoureux…". On saura tous les détails de "ces moments de battement où aucun jeu sain ne nous vient à l’esprit".
Mais le plus intéressant et le plus excitant est le récit des expériences vécues quand elles sont devenues majeures, qui portent la trace de leurs expériences enfantines. Emma est convaincue que c'est Odile qui a eu sur elle "une influence délétère", quand elle feignait de considérer qu'Emma ne l'intéressait pas, quand elle jouait le rôle du prince dans un remake de La Belle au bois dormant qui a conditionné son rapport à la jouissance, un conte où la femme reçoit et l'homme donne. Son plaisir est de faire jouir l'autre, son plaisir est plus intellectuel que physique. Emma est aussi convaincue que l'homosexualité féminine est naturelle et que l'hétérosexualité est un instinct fabriqué par la société, une construction sociale, "il n'y a pas d'amour pour les hommes qui se fasse sans dressage". Ces deux femmes, et toutes les autres, ont-elles le droit et la possibilité d'avoir une vie sexuelle à elles, dont elles décident et qui les comblent ?.
Dans ce livre, on ressent le plaisir d'écrire d'Emma Becker qui lui permet de comprendre la vie. L'ouvrage explore le désir féminin, hors du regard des hommes et de leur emprise. La conversation d'Emma avec Odile se déroule dans une belle tendresse, sans qu'on sache toujours ce qui est de l'ordre du fantasme, de leur réflexion intellectuelle, de leurs réalités, mais n'est-ce pas là le statut de cette littérature qui n'est pas possible sans la projection, l'imaginaire, la sensualité.

Conseillé par (Libraire)
25 mai 2023

Avec un titre aussi racoleur, on pouvait craindre le pire, il n'en est rien. Selon Metin Arditi, Jésus est né de Marie violée par un soldat romain. Enfant, il a été rejeté par ceux de son village, comme sa mère, et en a beaucoup souffert. C'est cette exclusion injuste qui a nourri sa colère contre tous ceux qui ne respectent pas les plus petits, les plus faibles, les muets et les aveugles, les lépreux. Quand il entend des docteurs de la Loi dire qu'elle "est dure, mais [qu'] elle a tout son sens. Notre peuple ne doit compter que sur lui-même. Son devoir est de se protéger de ses éléments les plus faibles", il ne peut que réagir avec force et se demander ce "qu’était cette religion qui humiliait l’innocent et récompensait celui qui obéissait sous la menace ?" Il critique le Baptiste qui effraie les gens pour les convaincre de se faire baptiser. Il se fâche avec les marchands du temple qui "s’enrichissent sans vergogne" aux dépens des miséreux.

Jésus est fier de sa mère qui se montre d'une grande douceur, fier de son père dont il sait qu'il aurait pu répudier Marie. Qu'il soit tendrement amoureux de la belle Marie de Magdala qui vient s'occuper de sa mère après la mort de Joseph n'est pas si surprenant. Jésus est charpentier comme son père. Il est aussi guérisseur, mais ne fait pas de miracles. Celui que met en scène Metin Arditi est l'homme de Nazareth, pas le Messie, pas le Christ. Autre liberté que prend le romancier, c'est de faire de Judas celui qui pousse Jésus à ne pas renoncer à ses valeurs, à créer un groupe de fidèles, même en risquant la mort sur la croix, qui incite les disciples à mentir pour faire croire à la résurrection et qui prend la tête de la jeune secte qui deviendra la religion chrétienne.
Avec un vrai talent de conteur, et ayant lu des exégètes reconnus et sérieux, Metin Arditi réinterprète une religion doublement millénaire en montrant un Jésus très humain. Son Jésus est un homme attachant et qui mène un combat auquel tout homme de bonne foi peut adhérer.
À sa façon, il donne à Jésus une contemporanéité tout à fait intéressante.

Les domestiques chez les grandes fortunes

La Découverte

Conseillé par (Libraire)
3 mai 2023

Alizée Delpierre a été domestique chez des riches et a mené des entretiens avec des patrons et des domestiques, elle-même ayant été nanny. Son livre ne concerne pas les emplois de service à la personne, de ménage des bureaux ou chez des particuliers. I

l s'intéresse à celles (72 % des domestiques sont des femmes) qui sont au service de familles riche, qui sont majordomes, bonnes, nannies, lingères, chauffeurs, jardiniers, et qui libèrent leurs patrons des tâches ordinaires pour qu'ils puissent "jouir de leur pouvoir", gérer des entreprises, créer de nombreux emplois, s'assurer de grandes fortunes. Leurs employeurs peuvent être de riches familles depuis plusieurs générations ou de nouveaux riches, avec ou non l'habitude d'être en contact avec une ou plusieurs "bonnes".
L'enquête de la sociologue permet de connaître les conditions de vie des domestiques, de travail, de logement, de salaire. Elles sont le plus souvent nourries et prises en charge par leurs employeurs, les études de leurs enfants peuvent être prises en charge dans de bons établissements, ainsi que les soins médicaux, car "leurs patrons sont aussi leurs protecteurs". Le plus souvent immigrées ou de basses classes sociales, mais parfois très instruites, elles connaissent une "ascension sociale fulgurante", percevant des salaires élevés et recevant des cadeaux luxueux. Elles acquièrent les codes de leurs employeurs (carnets d'adresses, façons de s'habiller, de se tenir, de parler). Expérimentées et discrètes, leur réputation peut leur permettre de choisir leur emploi, d'en changer.
En contrepartie, elles sont corvéables à merci, n'ont pas ou peu de vie privée, peuvent être licenciées sans le moindre préavis. Si elles sont immigrées ou issues de classes populaires, elles seront employées à des tâches subalternes. Leur réputation peut être brisée par une faute, une indiscrétion. Leur liberté d'organiser leur travail est souvent entravée par les exigences parfois extravagantes de leurs patronnes.
La relation des patrons avec leurs employés est ambiguë. S'ils se disent (et sont) souvent "attachés" à leurs domestiques, ils peuvent aussi les craindre parce qu'elles font partie de leur vie privée, elles connaissent la valeur de "l'opulence" de ce qui est dans leurs appartements et résidences de vacances, parce qu'il ne faut pas s'attacher à ces personnes qui partagent leur vie personnelle. Ils peuvent les "jeter" pour des raisons parfois inavouables. Les domestiques savent qu'elles sont exploitées par ceux qu'elles admirent. Montrant les points de vue des domestiques et de leurs employeurs, l'étude réussit à "dévoiler la complexité des mécanismes de la domesticité, de la domination rapprochée, de l’exploitation dorée, l’ambivalence des trajectoires" des domestiques
Cette intéressante et sérieuse étude est de lecture aisée. Elle montre ce qui est le véritable privilège de classe des grandes fortunes : "celui de se faire servir".
Sans être un livre militant et sans porter de jugement moral, l'ouvrage conclut que "les grandes fortunes peuvent faire ce qu’elles veulent des personnes qui les servent, quitte à les priver de droits".

Albin Michel

Conseillé par (Libraire)
29 avril 2023

On a beau savoir que "toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite", on ne cesse de se demander si on est dans la réalité ou dans la fiction politique.

Un jeune président de la République veut "l'individualisation de la responsabilité écologique" en surveillant le bilan carbone de chaque citoyen. Faut-il préciser que ce projet ne passe pas et qu'il "va avoir tout le monde dans la rue et probablement pas de majorité au Parlement" ? L'homme est devenu milliardaire en travaillant – beaucoup – dans le numérique. Son prédécesseur est "vieux nourrisson de la politique", lui n'a aucune expérience politique et n'aurait pas été élu sans l'aide des GAFAM. Il est ouvertement néolibéral et compte dissoudre le Sénat "pour lui substituer une Chambre virtuelle". Même s'il a "réalisé à quel point je connaissais mal mon propre pays" et qu'il se fie aux sondages qui "montrent que dans leur grande majorité, les Français sont heureux", il les perçoit tentés par le populisme, "dans une colère latente généralisée" et sait qu'une partie de la France est "exclue de la fête capitaliste" et qu'elle "cultive l’amertume et la rancœur".
Ce Président a une conception verticale du pouvoir, il ne consulte que quelques conseillers, surtout Sénéchal, le secrétaire général de l’Élysée, Marion, sa jeune communicante, en partie parce qu'il n'a pas d'idée précise de ce qu'il va faire face aux ennuis qui s'annoncent. Ces consultations sont l'occasion de mettre en scène les relations des membres de l'Élysée, qui ne sont pas toujours focalisés sur le service dû aux citoyens.
Ce roman est addictif tout en étant dérangeant. Le narrateur est le Président qui nous en apprend suffisamment sur sa réussite professionnelle, son addiction à la cocaïne, sa jeune épouse journaliste, son projet politique pour que le lecteur sache que cet homme n'existe pas, qu'il n'est pas celui qui est Président de la République française en 2023. En même temps – ce qui est très macronien – on ne peut s'empêcher de penser à l'actuel locataire de l'Élysée, parce qu'il ne veut pas lâcher sa réforme, parce qu'il est très sûr de lui, parce qu'il "prend plaisir à l’adrénaline du pouvoir", parce qu'il est sans frein :"Je n’ai pas été élu pour faire semblant", parce qu'il veut être différent : "Je ne vais pas me laisser endormir comme mes prédécesseurs" et qu'il veut façonner l'histoire.
On notera l'attention de Marc Dugain à la solitude des présidents, son inquiétude pour l'environnement qui se détruit, sa méfiance face au numérique qui isole l'homme jusqu'à la détruire. Le roman a été mis dans les librairies le 30 mars 2023, sa rédaction a sans doute été achevée environ un an avant. Il est bluffant que ce président s'inquiète de possibles grandes manifestations et du sujet des retraites. La coïncidence entre la fiction et la réalité sociale du pays témoigne de la sensibilité politique visionnaire de Marc Dugain.
Ce roman sur la fonction présidentielle est très fin et très caustique. On sourit souvent en le lisant, en même temps, ce qu'il dit de cette fonction et du pouvoir est glaçant, ce qu'il dit de la France est inquiétant, ce qu'il dit de l'état de la démocratie est dramatique.
Dire plus de ce roman serait dévoiler le tourbillon dans le lecteur sera plongé. On ne peut qu'insister : lisez-le !