Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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1 mars 2014

Je fais un grand pas dans l'œuvre littéraire de JP Toussaint, puisque je passe de "L'appareil photo", édité en 1988 à celui-ci paru quatorze années plus tard. Et force m'est de constater qu'on n'est plus dans le même registre ; de l'histoire gentille, décalée, drôle, un rien absurde dans laquelle il ne se passe pas grand chose, on passe à une histoire d'amour qui périclite qui se dissout sous nos yeux : les personnages qui dans les premiers romans de l'auteur avaient peu de personnalité ont là de vraies questions, des angoisses, des peurs, des désirs, des fantasmes qui les rendent malheureux. Plus vraiment d'humour non plus, mais heureusement, JP Toussaint a gardé son talent pour écrire de belles phrases, assez différentes néanmoins de celles que je connais, parfois crues, plus directes, laissant plus de place à l'émotion, aux sentiments, alignant parfois plusieurs adjectifs quasi-synonymes, comme si une seul ne pouvait suffire à dire la détresse.

Les deux amoureux décident de se séparer, mais font l'amour pour la dernière fois dans leur chambre d'hôtel de Tokyo : "D'instinct, ma bouche s'était sentie aimantée par sa bouche et l'appel des baisers, mais, au moment même où j'allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, close et butée dans une détresse muette, ses lèvres pincées qui n'attendaient nullement ma bouche, crispées dans la recherche d'un plaisir exclusivement sexuel. Et c'est alors, que, m'immobilisant et redressant la tête au-dessus de son visage dont les yeux bandés me voilaient l'expression, je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines, une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de sa joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière du tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration." (p.26/27). Magnifique passage qui résume à lui seul la douleur et la difficulté à laquelle ils sont confrontés, les hésitations, les pleurs, la tristesse de quitter quelqu'un qu'on aime encore mais avec qui la vie est devenue trop dure.
JP Toussaint situe son livre au Japon, à Tokyo (et un peu à Kyoto) ; comme pour plonger ses héros et ses lecteurs dans un monde opposé au leur, loin de leurs repères européens, le décalage horaire en plus et l'absence de sommeil pour Marie et le narrateur exacerberont leurs ressentiments et leur colère réciproque, accélérant sans doute la séparation. Mais plutôt que de décrire un Japon et des Japonais attendus, il se détourne des clichés en parlant des petites choses, des habitudes quotidiennes des Japonais, de leurs rues étroites et sales, comme un touriste qui, pour sortir des sentiers battus se perdrait volontairement : "Je marchais au hasard, sans but, je me perdais dans des embouteillages de piétons au grand carrefour de Kawaramachi, je flânais dans des galeries marchandes, je passais le seuil de boutiques de calligraphie et m'attardais un instant devant les encres en bâtonnets solides, noirs avec quelque inscription verticale dorée, regardais les pinceaux précieux, en poils de je ne sais quoi, qui coûtaient la peau de cul. Je musardais dans les marchés, je m'arrêtais ici et là devant les gros tonneaux de salaisons de la devanture d'une échoppe et concevais mollement le désir d'acheter des tranches de thon géantes, du shiso, des légumes marinés dans du vinaigre aux couleurs acidulées, rose vif du gingembre, jaune du daikon, violacé de l'aubergine." (p.127/128) Bref, un Japon comme j'aimerais le découvrir, je procède ainsi lorsque je suis en mode touriste, je déconnecte, je flâne, les yeux en l'air pour humer l'air ambiant (avec le nez bien sûr, en l'air lui aussi).
"Faire l'amour" est le premier roman d'une série de quatre ("Fuir", paru en 2005 -que j'ai acheté aussi-, "La vérité sur Marie", en 2009 et "Nue", en 2013). Série qui débute sous les meilleurs auspices car même lorsque JP Tousaint change de style, il reste absolument excellent.

Elisabetta Bucciarelli

Asphalte

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1 mars 2014

Mais quelle drôle d'idée de faire évoluer des personnages au sein même d'une décharge, le monstrueux symbole de notre société de consommation à outrance ! Je devrais dire, quelle chouette idée, car cette décharge est un environnement formidable pour y construire une histoire, comme souvent les lieux étonnants, les époques violentes et chargées. Elisabetta Bucciarelli s'appuie sur des faits avérés, des dépôts sauvages de matières toxiques dans des décharges en Lombardie pour construire le socle de son roman : un intéressant dossier de sept pages en fin de volume relate ces informations. C'est sur cet immense monticule d'immondices que l'auteure place ses personnages, ce point de vue leur donne une dimension totalement unique : ils sont des ramasseurs de déchets, des gens tellement pauvres ou à l'abandon que leur seul moyen de subsistance est de se nourrir, de se vêtir avec les rebuts des gens riches, ceux qui peuvent consommer sans regarder à la dépense et jeter pareillement.

La décharge, c'est le symbole de la pourriture, de la lie de la société et l'amoncellement de détritus de tout genre amène à un environnement très glauque : "C'était un magma marron indistinct, un mélange en putréfaction, moitié solide, moitié liquide, duquel, de temps à autre, des jets émergeaient ; on aurait dit les souffles d'air d'une baleine. C'était le percolat qui, depuis les profondeurs du magma, semblait sur le point de refaire surface, comme témoignant d'une mutation en cours : gargouillement, bouillonnement, simple essoufflement de la terre pourrie ou grand rot d'un estomac rassasié par l'excès d'inutile." (p.149) On dit souvent d'un contexte qu'il est un véritable personnage d'un livre ou d'un film, c'est souvent la réalité, c'est parfois un "chouïa" exagéré, dans ce texte, l'expression n'est pas usurpée la décharge bouillonnant tellement, changeant d'aspect tellement rapidement qu'elle vit réellement, ses habitants craignent d'ailleurs l'un des endroits qui est en mouvement perpétuel et qu'ils pensent habité par "La Chose", une sorte de monstre, "C'était de la matière vivante, les jeunes en étaient certains, un agrégat qui obéissait à un cycle continu : il incorporait n'importe quel élément, naturel ou étranger, puis le restituait, prêt à être respiré, mangé et assimilé, à l'écosystème." (p.149)
Dans la décharge et aux alentours d'icelle vivent des personnages en rupture de liens avec la société : l'adolescent en révolte, Iac ; celui qui peine à trouver sa place, Lira ; Saddam le réfugié ; ... L'auteure s'intéresse peu à leur vie d'avant, elle les décrit sur une période donnée ; on n'en sait pas beaucoup sur eux, mais ce parti pris n'est pas du tout dérangeant, au contraire, il permet d'insister sur les relations entre eux, entre hiérarchie, amitié, idylle naissante (ou tout au moins souhaitée), rivalité amoureuse, liens familiaux distendus, difficiles et néanmoins présents, entraide. Beaucoup d'humanité parmi et entre eux, en opposition avec le monde bourgeois et absolument pas naturel des parents de Silvia, dont le papa est chirurgien esthétique et qui ne parle aux femmes (et aux hommes) que pour leur proposer une intervention bénigne mais inévitable pour rester jeune et désirable. L'opposition entre l'être et l'avoir ou le paraître. D'aucuns reprocheront une certaine facilité à l'auteure dans l'opposition de ces deux mondes, c'est sans doute un peu vrai, mais c'est aussi plus fin que cela : elle n'idéalise pas les rapports entre Iac et ses amis, ils sont difficiles, tendus, de même qu'elle ne dit pas que tout est superficiel dans le monde de Silvia. Et en regardant un peu attentivement le monde qui nous entoure, on peut remarquer aisément que le paraître, les signes de la réussite sociale (ce que l'on nommait jadis les signes extérieurs de richesse) comptent énormément au détriment de la sincérité dans les rapports humains. Pas pour tous, fort heureusement, mais pour certains, c'est ce que montre exactement E. Bucciarelli. En outre, ces stéréotypes servent le discours de l'auteure sur le besoin d'humanité, l'absolue nécessité de nous occuper de notre mode de consommation, de notre mode de vie, de la société que l'on veut pour nous et pour nos enfants. Un livre qui nous oblige à nous poser des questions sur tous ces points oh combien importants voire vitaux. Un roman éminemment écologiste et politique, qui en plus d'être formidable est très facile à lire, construit en petits chapitres de une à deux voire trois pages (89 chapitres pour 200 pages) qui nous permettent de nous balader entre la décharge et les rues adjacentes, entre Iac et Silvia et les autres protagonistes sans jamais perdre le fil.
Un roman découvrir assurément, de même que les éditions Asphalte qui le publient.

Anne-Marie Métailié

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1 mars 2014

Excellente idée de départ : un père et son fils partent en excursion, la mère ou ex-femme reste angoissée en ville, un manuscrit étrange entre les mains. L'auteur a la bonne idée d'alterner les chapitres : ceux consacrés aux garçons, ceux qui parlent de la mère et ceux concernant le manuscrit. Dans ceux-ci, le héros, Riquelme est amateur de mots croisés, et chaque chapitre se finit par une définition (avec emplacement du mot dans la grille) ; le mot qui entre dans les cases est celui qui débute le chapitre suivant, celui qui concerne l'excursion en montagne. Tout commence bien pour le lecteur, moins pour Jorge qui ne sait quoi dire à son père : "Ils marchaient d'un bon pas vers la gare de banlieue de Nuevos Ministerios et, aux feux rouges, son père lui passait un bras sur les épaules, lui demandait si ça allait les cours, quelle était sa musique préférée ou s'il avait une petite copine.

Jorge s'efforçait de montrer de l'enthousiasme, mais il n'arrivait pas à contenir une volubilité nerveuse et il en bégayait presque. Pour le reste, les cours ça allait très bien, il avait partout au-dessus de la mention assez bien, la musique qu'il préférait c'étaient les quatuors à cordes, et le contact le plus intime qu'il avait eu avec la fille qui lui plaisait, Teresa, ç'avait été de recevoir un crachat d'elle sur la joue. [...] Alors il raconta à son père qu'en cours ils étaient très exigeants, qu'il adorait Shakira et qu'il n'avait pas de copine, mais qu'une fille qui s'appelait Maria Luisa lui plaisait." (p.24/25). Et puis assez vite, l'histoire tourne en rond, chaque personnage se posant des questions sur le même événement sans vraiment faire avancer le roman ; on a aussi la version d'un même fait vu par les yeux de Carlos, puis par ceux de Jorge, répétition d'autant plus inutile que l'on sentait aisément dans les yeux de Carlos la réaction de Jorge.
De même, Rafael Reig brosse à gros traits malhabiles l'effritement de l'amour, les rapports père-fils, les haines et rancœurs des uns et des autres, ça manque de finesse et de minutie. Un roman plus ramassé, plus court aurait gagné en densité et en intérêt. Si au départ, on pouvait penser à "Sukkwan Island" de David Vann avec une tension dès le départ parce que père et fils ne s'entendent pas, on est à l'arrivée avec un roman qui s'il n'est pas inintéressant ne parvient pas à l'égaler. Une déception (toute relative) que ce polar espagnol.

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1 mars 2014

On ne peut pas dire que Bernard Leconte ait fait de son Lucien un Apollon, un dieu grec : "De ces parties [de football entre gamins de la cité], Lucien avait été le spectateur un peu triste ; son gros cul, ses jambes blanchâtres, sa tête de jeune veau nourri à l'étable et qui cligne des yeux dès qu'il voit la lumière, ne prédisposaient pas les joueurs à l'introduire dans leur équipe" (p.16) Alors Lucien s'invente un oncle entraîneur, qui ne viendra jamais, puis il s'inscrit dans un club dans lequel il pratique la course de fond discipline dans laquelle il ne brille pas non plus. Il fait aussi beaucoup de bicyclette arpentant les rues de Paris et sa banlieue pour y retrouver une bande de copains voire une fille qui accepterait de partager un moment avec lui. Puis Lucien grandit.

Il vit toujours chez sa mère à plus de quarante ans, végète dans son travail et dans le sport, pratiquant toujours le vélo intensivement, son seul moyen de locomotion.
C'est un livre à la fois léger et drôle, un de ces bouquins qu'on lit avec plaisir, parce que la langue est belle : "L'oncle Maurice était le frère de son père. [...] Sa femme, la tante Amandine, avait beau lui montrer en exemple son frère Georges qui se décarcassait pour acquérir pétrolette et téléviseur, lui tenir des objurgations publiques, lui faire honte, montrer à tout le monde, avec un geste lyrique du bras, le logis qu'elle briquait certes dévotement, mais qui manquait du moindre superflu à cause de l'inertie de Monsieur, l'oncle Maurice s'obstinait à considérer que quarante-quatre heures chez son employeur qui fabriquait des meubles légers pour OS (ouvriers spécialisés), c'était déjà beaucoup." (p.11/12), parce que les personnages à défaut d'être beaux et totalement sympathiques sont décalés par rapport aux canons actuels : une image me vient en écrivant mon article, celle des Deschiens, troupe de comédiens qui fit beaucoup pour les belles heures de Canal+. Malgré les moqueries, l'humour au détriment de Lucien, on sent que Bernard Leconte a créé un personnage qu'il aime bien, un type avec des convictions -qui peuvent varier-, entier et plus maladroit et benêt que méchant.
Dans "Qu'allons-nous faire de grand-mère", Bernard Leconte usait de la même belle langue, de belles descriptions de paysages pour parler des personnes âgées que certains dépotent véritablement dans des maisons de retraite. Dans L'étrange itinéraire d'un dératé, il parle des petites gens, ceux qui n'ont pas une vie comme tout le monde, de ces gentils godiches ou empotés qui sont toujours ceux qu'on regarde sans méchanceté la plupart du temps mais toujours avec une pointe de moquerie ou de condescendance.
Une histoire simple d'une belle écriture enlevée : un de ces romans qui font passer un excellent moment et dont le personnage principal pas toujours sympathique mais attachant pourrait bien rester en tête un petit moment.

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1 mars 2014

Si vous suivez régulièrement mon blog, ce dont je vous sais gré, vous savez qu'en fin d'année dernière, j'avais relayé la demande de Christophe Lucquin sur la plate -forme de financement partagé Kisskissbankbank. Sans tout vous raconter dans le détail, j'y suis allé moi aussi de ma petite obole, et ce qui est bien avec cette nouvelle forme de financement, c'est que les contributeurs ont une contrepartie, pour ma part, quelques livres, dont celui-ci, au titre excellent qui en est pour beaucoup dans mon choix. Et oui, "qui n'a jamais rêvé de mettre un coup de boule à JoeyStarr" ? Euh, ben moi en fait, car si je passe outre le fait que le personnage ne m'est pas particulièrement sympathique, je suis un non-violent.

D'abord parce que je crois que la violence ne résout rien, et ensuite, parce que vu comment je suis gaulé, je n'ai pas intérêt à recourir aux coups en général et contre JoeyStarr en particulier.
Cette mise au point, faite, je dois dire que j'ai beaucoup aimé ce petit roman (60 pages) de la collection Fantasmes, qui nous présente une jeune femme pas très bien dans sa peau, n'aimant pas vraiment son boulot et surtout pas son chef Bernard qui aimerait la mettre dans son lit -"Bernard pose sa petite main poilue sur mon épaule. "Ma fille se coifferait comme ça, j'irais la tondre pendant qu'elle dort." Bernard est ce qu'on appelle communément un sale con." (p.15)-, qui visite sa grand-mère atteinte d'Alzheimer passionnée par les suicides collectifs au sein des sectes qui a des parents déconnectés, une mère flippée, un père qui veut bricoler mais ne sait pas faire : "A six ans, j'ai dormi trois mois dans le lit de mes parents. Mon nouveau lit était en kit. Toutes ces petites momies au bout des doigts de mon père. Toutes ces petites poupées de douleur. La douceur, déjà, prenait à mes yeux la forme mensongère de ces compresses duveteuses et derrière lesquelles suintaient les écorchures et la souffrance." (p. 18) Lorsque JoeyStar arrive avec son arrogance, c'est la goutte d'eau de trop.
Max Monnehay alterne les chapitres dans le métro et ceux consacrés aux rapports familiaux d'Alex. L'écriture est belle, à la fois douce et violente, elliptique, comme le montre l'extrait cité plus haut, drôle et désespérée parfois :"Avec ton père, on ne s'est pas touché depuis 2008 et là il m'attend en mini-slip dans la chambre. Il a ressorti notre parure de lit fuchsia et fait brûler toute ta vieille réserve d'encens. On se croirait dans le vagin de Béatrice Dalle. Alors, laisse-moi craindre le pire."(p.29). La grand-mère vit dans le passé, les parents sont désabusés et si l'espoir arrivait avec la rencontre improbable avec JoeyStarr, dans ces moments où la violence est dans les faits mais beaucoup moins dans l'écriture... ?
N'hésitez pas à aller voir le site de cet éditeur qui ose et qui publie d'excellents bouquins, c'est ici.