Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Nicolas-Raphaël Fouque

Ravet-Anceau

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1 septembre 2014

Retour de Camille Trencavel déjà rencontrée dans Le crâne de Boulogne. Et la voici qui patauge dans un monde glauque, celui des compromissions et des affaires, des magouilles et des dossiers, des arrangements entre amis, tout cela au nom du pouvoir politique.

Virgile Acarmone est Président de la République, il en est à la fin de son second et donc ultime mandat, mais en faire un troisième le titille sérieusement. Il fait tout pour que Maximilien, son frère soit le prochain candidat, pour garder le pouvoir dans la famille, on ne sait jamais, il pourrait retrouver sa place ensuite... Dans le même temps, Maximilien magouille pour être élu Président du Sénat, d'autres veulent être ministres voire le premier d'entre eux, puisqu'un remaniement est en cours. Se greffe là-dessus une histoire d'héritage industriel du plus grand fabriquant d'armes français. A ce niveau, tout le monde a quelque chose à s reprocher et chacun a un dossier sur son adversaire politique. Haines, rancœurs, hypocrisies, ambitions et jalousie sont les maître-mots de ce monde que décrit NR Fouque. Il invente bien sûr, emprunte à divers personnages pour fabriquer les siens -pas forcément en France, on n'a pas encore eu de Président désireux de changer la Constitution pour faire d'autres mandats, ce qui donne une impression de réalité et d'anticipation qui peut dérouter mais qui, une fois le pli pris donne un contexte formidable. Il faut juste faire un petit effort. NR Fouque est comme je le disais à propos de son premier roman et comme le dit Nicolas Marié dans la préface (vous ne pouvez pas ignorer qui est Nicolas Marié, ce serait une faute de goût : c'est un acteur absolument génial, notamment dans les films d'A. Dupontel : un médecin alcoolique dans Le vilain, ou un irrésistible avocat bègue dans 9 mois ferme, mais aussi un salaud hirsute dans Micmacs à tirelarigot de JP Jeunet, entre autres), NR Fouque disais-je donc avant de me faire interrompre par un extrait de la filmographie de N. Marié, est un auteur qui fait appel à l'intelligence du lecteur :
"Nicolas-Raphaël Fouque a ce talent tout à fait étonnant de nous emporter dans son roman policier avec pour code d'expression majeur les dialogues. [...] Quelle légèreté cela confère à son roman ! Quelle confiance il fait à l'intelligence de son lecteur ! Il ne reste plus alors qu'à se laisser entraîner par les images que chacun ne manque pas de se construire pour alimenter son imaginaire. C'est un peu comme si Nicolas-Raphaël Fouque commandait à chacun de ses lecteurs de se faire sa propre traduction de son roman en images." (p.6)
Là, j'opine, je branle du chef et j'applaudis des deux mains -parce qu'avec une seule ce n'est pas évident !-, le lecteur est obligé de se faire ses propres images, car NR Fouque décrit très peu, quelques mots par personnage, juste des silhouettes ; de même, on passe d'une intrigue à l'autre, d'un jour à un autre ou d'un lieu à un autre (mais les indications temporelles et géographiques sont notées en tête de chaque sous-chapitre, ouf !) ; l'auteur procède par ellipses, par images que l'on doit relier entre elles : "Dans son grand labyrinthe d'images vous allez être balloté, écartelé, compressé. Et vous n'en sortirez pas indemne. Le point final vous trouvera ému, en colère, étourdi, cabossé." (p.6) Que dire de plus que N. Marié ? Rien ! Je vous laisse donc avec ce bon conseil de lire ce polar (et même si vous êtes tenté, avant, lisez Le crâne de Boulogne) et avec l'espoir que l'adaptation télévisuelle ou cinématographique dont parle Nicolas Marié puisse voir le jour. J'en suis... enfin, en tant que spectateur bien sûr

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1 septembre 2014

Bonne idée que de tenter de savoir ce qui peut se passer dans le tête des gens qui se posent une ceinture d'explosifs et se font littéralement sauter au milieu de la foule. François Luciani invente Lisa et son parcours qui ne vaut sans doute que pour elle et ne peut pas être universalisé. Elle est une jeune fille moderne, avec des désirs de réussite professionnelle et sociale, qui veut sortir de sa condition de pauvreté ; les rencontres qu'elle fera et qui lui permettront d'accéder à ce désir seront déterminantes et changeront le cours de sa vie. Lisa est un beau personnage, une jeune femme à la fois simple et ambitieuse, tiraillée entre son envie de réussir, de montrer à tous qu'elle s'en est sortie malgré les difficultés et ses origines, sa mère notamment qui lui reproche de l'abandonner. C'est cette faille que vont exploiter les religieux intégristes, les combattants de l'islam : ils cherchent toujours la faiblesse pour s'insérer et instiller leur doctrine. "La religion est un poison" (Mao aurait dit ça en parlant des Tibétains, cité dans Kundun, film de Martin Scorsese), l'intégrisme est un fléau.

Le roman débute par l'attentat commis par Lisa, décrit en courtes phrases, puis sans attendre les conséquences de ce geste, François Luciani raconte l'enfance de Lisa, et déroule le court de sa vie, jusqu'à la fin qui rejoint le début en une sorte de boucle, une vie fragile qui ne tient qu'à un fil, celui du détonateur. Pourtant Lisa fera des efforts pour sortir de sa condition, cherchera un travail : "Après quelques semaines de recherches qui firent la risée de ses potes de lycée, la recherche d'emploi étant pour eux équivalente à un gag, elle trouva contre toute attente un de ces jobs qu'on vous refile à la sauvette dans les organismes universitaires avec une leçon de morale et un viatique en guise de salaire, quelques sous en dessous du minimum de la dignité vitale, misérable aumône obtenue de haute lutte en qualité de "stagiaire rémunéré" pour douze heures d'affilée passées derrière un comptoir à servir des bières et des saucisses-purée aux commerciaux en tournée, frustrés de leur vie de merde et à l'affût du moindre cul." (p.29)
Malgré la belle plume de François Luciani, ses belles et longues phrases comme celle que je viens de citer, ses usages de différents niveaux de langage, je ne suis pas totalement convaincu par son bouquin. Des répétitions, des longueurs nuisent à la qualité de son histoire, même si pour finir, me reste l'image d'un beau personnage fort bien décrit dans ses complexités et ses difficultés. François Luciani est scénariste et réalisateur, peut-être sa Lisa sera-t-elle incarnée au cinéma ? Un auteur à suivre

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1 septembre 2014

J'avais plein d'idées en tête pour parler du livre de Jérôme Fansten, tellement que je me demandais même comment je pourrais toutes les placer en un article de blog, j'avais noté plein de passages à citer, trop, jamais je n'aurais pu les mentionner tous. Et puis, en fin de volume, voilà que M. Jérôme Fansten fait lui-même le boulot : "C'est quoi, les "enquêtes de J." ? De l'auto-fiction ? Un hommage aux grands auteurs du Noir, Dashiel Hammett en tête ? Une manière de récupérer par la bande l'héritage surréaliste pour raconter des histoires d'amour ? Une parodie de polar ? Eh ben, c'est tout ça... C'est une autobiographie amoureuse, racontée avec le prétexte du hard boiled. A moins que ce soit un polar pur et dur, avec ce qu'il faut de baroque pour bien parler de l'amour et du désir sexuel." (p.293)
Bon, alors me voilà au blog-chômage... mais je n'ai pas dit mon dernier mot, je m'en vais lui dire moi ce que je pense de son bouquin à J. Fansten, et tant pis si je lui pique des idées qui sont aussi les miennes puisqu'elles me sont venues bien avant la page 293. Non mais...

L'amour viendra, petite ! est un hommage aux polars, truffé de références, de noms que je connais pour la plupart mais que je n'ai pas tous lus : les auteurs états-uniens dont Jim Thompson, R. Carver, J. Fante, J. Ellroy, les francophones avec en tête Simenon dont il fait d'ailleurs un personnage et JB Pouy, T. Jonquet, D. Daeninckx entre autres... Son J. est une espèce de Jack Taylor -le privé irlandais alcoolique de Ken Bruen- français. Toujours dans des sales coups, l'enquête est résolue c'est vrai, pas toujours grâce à lui, mais sa recherche est souvent autre, plus existentielle, d'ailleurs certaines femmes qu'il voit se nomment Entropie, Tristesse, Dépréciation, Confiance...
On navigue avec bonheur dans ce roman qui fait référence également à Boris Vian pour le côté absurde (mais aussi peut-être pour Vernon Sullivan) et à Rimbaud et qui cite en pleine enquête du Roland Barthes (pas fréquent). C'est un bouquin extrêmement bien écrit, une écriture addictive, bourrée de trouvailles tant dans les descriptions parfois sommaires mais suffisantes : "Le Père suit mon regard et me présente La Bête. La Bête, putain. La Bête est son homme de main, son bras droit. La Bête est un sadique. C'est un homme, comment dire ? Immobile. Voilà, c'est ça : La Bête est "immobile"." (p.53) que dans l'humour qui flotte dans quasiment toutes les pages. Un humour noir. Désespéré. Désabusé. Il est rarement cause de luxation de la mâchoire, on sourit plus qu'on ne s'esclaffe. C'est l'ambiance, les personnages, les réparties, les triturations ou détournements d'expressions qui font mouche. J. Fansten manie les mots avec brio, les images, les métaphores, les inventions, les références en matière de comics, de jazz, de polars. Il mélange tout cela et en sort un texte brillant qui m'a ravi de la première à la dernière page. C'est un polar mais encore plus que cela, c'est le roman d'un homme qui se cherche et a du mal à se trouver. C'est aussi un bel exercice de style, absolument pas vain. Parce que Jérôme Fansten a un style personnel décapant. Addictif ai-je écrit plus haut. Je confirme, j'en reprendrai bien volontiers. Un conseil, si vous ne voulez pas succomber, ne lisez pas la première page mais si vous aimez découvrir et vous faire plaisir en lisant, lisez et "[tournez] la première page et, pour la suite, laissez-vous guider..." (l'éditeur, Flamant Noir, en 4ème de couverture, qui pour ma troisième rencontre avec lui fait fort, très fort !)

Gilles Delabie

Ravet-Anceau

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1 septembre 2014

Deuxième aventure du commissaire Kléber Bouvier déjà rencontré dans Les communiants de Rouen. En relisant ce que j'avais écrit du premier tome, je m'aperçois avec grande joie que Gilles Delabie change la construction de son roman, non que le premier fût mauvais, bien au contraire, mais de cette manière, on n'a pas l'impression de lire le même livre. Et il est bon ce polar, excellent même. D'abord l'intrigue est suffisamment alambiquée pour tenir la route jusqu'aux ultimes lignes, pour nous embarquer sur de mauvaises pistes, des mauvaises intuitions. Ensuite, une belle part est faite aux personnages, Kléber Bouvier en particulier, mais aussi Gustave Malet, le père du défunt, un très riche propriétaire terrien qui a bâti sa fortune pendant la guerre.

Peu d'humour dans ce roman, une ou deux saillies de-ci de-là :
"Péqueri s'empressa de prendre le chargement et monta les marches quatre à quatre.
- Tu parles d'une flèche ! Ils sont tous comme ça les nouveaux cette année ? ironisa Marini.
- Non, lui il est exceptionnel, il a un an d'avance..." (p.40)
Non, le ton est lourd, l'ambiance noire et glauque, le froid extrême de l'hiver 54 (celui de l'appel de l'Abbé Pierre qui l'a rendu célèbre) n'allège pas l'ensemble, au contraire. Le commissaire Bouvier se débat dans cette enquête dont il ne voit pas l'issue, il faut dire que dans la campagne du pays de Caux, les têtes sont dures et les gens taiseux (et on dit des Bretons, les Normands n'ont pas l'air en reste). Chacun sait une bribe -ou plusieurs- mais personne ne dit rien par peur des représailles de l'homme fort du canton, Gustave Malet qui est un type odieux (et le terme est faible). Bouvier patauge et sa vie personnelle n'est pas idyllique non plus, partagé qu'il est entre Clémence sa femme et Suzanne sa maîtresse. C'est aussi le moment ou surgit du passé un homme, Leperron, ancien milicien qui, pendant la guerre, a tout fait pour emprisonner Kléber et Clémence qui étaient dans la Résistance. Des révélations sur ses pratiques déstabilisent le couple Bouvier qui n'a pas particulièrement besoin de ça.
Un polar social et historique, drôlement bien fichu, bien écrit ce qui rajoute au plaisir de le lire, maîtrisé de bout en bout qui fourmille de considérations politiques, historiques, sociales, philosophiques : "Il existe un état supérieur à tout sentiment, dévorant les rêves, les envies, les joies, les peines, les êtres tout entier, un état tout puissant, invincible : la honte. Lorsqu'elle nous traque, on a beau user de subterfuges, brosser son âmes à l'eau bénite, la camoufler sous l'alcool, la jeter en pâture à la folie, la claquemurer dans l'oubli, elle finit toujours par nous anéantir, à l'aide d'une corde, d'une balle ou d'un précipice..." (p. 162). Un polar qui ne peut laisser indifférent, qui ne fait pas dans l'anecdotique, mais dans le lourd. Faites connaissance avec Kléber Bouvier, vous ne le regretterez pas, et même si je puis me permettre un conseil, comme il n'en est qu'à deux enquêtes, commencez par la première -Les communiants de Rouen- et continuez avec celle-ci, La part du mal ; n'hésitez pas, vous ne prenez qu'un risque, celui de vouloir le suivre dans ses autres aventures.
En plus, le livre est en format poche, comme toujours chez Ravet-Anceau, pratique donc sur la plage ou dans les transports en commun pour ceux qui ont déjà repris le travail.

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1 septembre 2014

Quatrième aventure de Voltaire en tant qu'enquêteur. Cette fois-ci, il est plus victime que meneur, ne se rend pas toujours compte des tentatives de meurtre contre lui, et est beaucoup plus concentré sur ses futures affaires financières et sur le mariage qu'il arrange entre la jeune Elisabeth de Lorraine-Harcourt et le duc de Richelieu, par ailleurs son débiteur, pour justement assurer les remboursements de son prêt par la descendance qui naîtra forcément -le pense-t-il- de cette union. Heureusement pour lui, sa maîtresse Emilie du Châtelet veille sur lui.

Quel plaisir de retrouver l'illustre philosophe dans la série qui porte son nom. Le moins "polar" des trois que j'ai lus et celui que je préfère, pas de temps mort, pas le "ventre un peu mou" -juste quelques longueurs en leurs mitans- que je pouvais reprocher aux autres. Pas de véritable enquête, mais Voltaire virevolte, papillonne, n'arrête pas de gesticuler toujours habillé à l'ancienne mode avec sa haute perruque datée, toujours à l'affût d'une bonne affaire. Lorsqu'il rencontre le cuisinier qu'il lui faut pour son estomac délicat -il faut dire qu'en 1734, les repas sont copieux, roboratifs, un peu de légèreté (relative) ne fait pas de mal- il le débauche et l'embauche bien qu'il ne sache rien de lui, ce sera dès lors, une suite de plats fins, inventifs dont certains font encore le délice de nos palais.

Le ton est toujours drôle, léger, Frédéric Lenormand n'ayant pas de scrupules à écorner le mythe voltairien à tel point qu'on se demande s'il n'en rajoute pas, mais, en fin de volume, il cite des extraits de livres, de journaux, certains de cette époque, qui abondent dans son sens : "Voltaire avait le front élevé, les yeux noirs, tout de feu, et dans une agitation continuelle. Son esprit était vif et ardent. [...] Il croyait être né pour l'ornement de son siècle, pour donner le ton aux poètes, aux historiens, aux orateurs, aux géomètres, aux physiciens, aux philosophes et même aux théologiens. Aussi était-il d'un orgueil insoutenable. [...] Il était sans amis, et ne méritait pas d'en avoir. Il avait un si grand penchant à l'avarice qu'il sacrifiait tout, lois, devoirs, honneurs, bonne foi, à de légers intérêts." (François Toussaint -1715/1772-, Anecdotes, cité p. 337)

La langue est belle, même dans les insultes lorsque des carrosses de courtisans et d'un ministre sont bloqués dans la rue par des gens mécontents qui s'écrient : "Attrapeminons* ! Rats de palais ! Vieux manches de gigot ! Moineaux de carême !"(p.150) Quand je pense qu'aujourd'hui on a droit à du "Casse toi pauv'con !"... Les mœurs changent, le niveau de vocabulaire aussi.
Entre deux cabrioles et deux situations ridicules, Voltaire ne peut s'empêcher de placer des répliques vaches, drôles, philosophiques qui sont un vrai plaisir à lire : "Tout le monde aime le sucre, il est à la cuisine ce qu'est à la religion la promesse d'une vie éternelle : un mensonge agréable qui dissimule l'amertume du reste." (p.177). Je flatte ici mon anticléricalisme. Je me suis régalé avec ce tome narrant les aventures de Voltaire autour de la table et de la bonne chère, cette série est décidément très digeste, un bon petit plat à partager qui ne reste pas sur l'estomac qu'à l'instar du célèbre écrivain, j'ai fragile. Et puis, ces aventures m'ont aussi donné l'envie de relire Voltaire, je crois bien avoir dans le fond de ma bibliothèque Zadig**, Candide et peut-être même Micromégas...

* Hypocrites
** J'ai failli écrire Zadig et Voltaire, les mœurs changent, le niveau de culture aussi...