Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

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4 juin 2016

Comme tout le monde, je croyais avoir lu un livre de Dany Laferrière, et, à ma grande surprise, à la lecture des titres de ses ouvrages, je me suis aperçu qu'il n'en était rien. Quelle erreur, surtout que ça fait plusieurs fois que je le vois à des émissions de télévision et qu'à chaque fois, malgré ma volonté de ne pas m'éterniser, eh bien, je l'écoute jusqu'à la fin. L'odeur du café est donc mon premier roman de l'auteur. Essai largement transformé, je me suis régalé à ce récit d'enfance. D'abord, j'ai beaucoup aimé la construction : de courts chapitres formés de courts paragraphes qui se parlent, se répondent sans se suivre obligatoirement, comme lorsque reviennent des souvenirs par bribes, et tous en même temps, ou l'un appelant le début d'un autre avant de revenir au premier, pour en raconter l'entièreté. Loin d'être déroutante, cette disposition dynamise la lecture et l'ancre dans l'enfance dans laquelle on peut passer d'une idée à l'autre sans transition.

Ensuite, l'écriture est un plaisir si évident qu'il paraît même superfétatoire de le signaler. Beaucoup de bonne humeur, d'humour (un peu de culture chrétienne sera nécessaire pour comprendre le dialogue suivant) :

"- Que font les poissons à midi ?

- C'est l'heure de manger.

- Pour les poissons aussi ?

- Pour tout le monde.

- Et qu'est-ce qu'ils mangent ?

- Du poisson, me dit Willy Bony

- Mais on n'est pas vendredi." (p.140)

Même les événement tristes ne sont pas racontés de manière plombante, mais comme des choses qui devaient arriver, des fatalités ; le narrateur ayant dix ans, son insouciance prime, et tant mieux. Il est aussi très à l'écoute des histoires de son pays, des légendes que lui raconte Da. Et puis Dany Laferrière joue avec les notions de vérité donnant à plusieurs reprises différentes versions d'un même fait, vues par différents protagonistes, et là, on s'aperçoit qu'effectivement chacun voit avec ses propres filtres et que la vérité n'est pas toujours telle qu'on la croit être. Habile, très habile et excellent raconteur d'histoire, Dany Laferrière nous embarque totalement dans un sourire permanent. Promis, je le relirai, d'ailleurs un autre titre m'attend...

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24 mai 2016

Roman d'une descente aux enfers : jusqu'où l'homme peut s'abaisser pour obtenir ce qu'il veut et les conséquences des actes commis sur l'entourage ? Il débute simplement, une évacuation d'une ville à cause d'un ouragan : les habitants sont habitués et tout devrait se dérouler normalement mais quelques grains de sable d'abord assez éloignés les uns des autres viennent gripper un peu la belle mécanique. Et puis ces grains de sable, ces détails, se révèlent importants au fil de l'histoire et prennent tout leur sens, loin d'être anecdotiques.

Avec son idée, Jon Bilbao aurait pu en faire des tonnes, allonger son roman, ajouter des effets dramatiques ça et là, mais il a eu l'intelligence et le talent pour ne rien en faire. 217 pages, rien de trop, rien ne manque. Les personnages sonnent juste et les liens entre eux également. A part la présence de l'ouragan le livre est écrit avec une économie de moyens assez inhabituelle, l'auteur va à l'essentiel.

D'habitude lorsque je lis, je note des pages qui me marquent pour diverses raisons pour alimenter mon article. Là, je n'ai rien noté, non parce que je n'ai rien trouvé, mais parce que je me suis coulé totalement dans l'histoire subtilement amenée et menée, un peu à la manière de "Sukkwan island" de David Vann (toute comparaison gardée, les récits se ressemblent en certains points et notamment dans la construction qui va vers une inévitable catastrophe).

Je ne vais donc pas faire dans l'allongement que je reproche souvent à certains auteurs, mon article sera court -ouf, enfin, entends-je par ici-, juste, je cite le tout début, les premières phrases, mais faites-moi plaisir, n'hésitez pas à lire ce "Pères, fils, primates" à la couverture très réussie comme toujours chez Mirobole :

"Les animaux se cachaient, ou peut-être avaient-ils senti ce qui allait arriver et avaient-ils fui à l'intérieur des terres en quête d'un refuge. Depuis son arrivée au Mexique, Joanes n'avait aperçu que des oiseaux, omniprésents et bruyants, et des lézards aux grandes pattes qui couraient partout autour de la piscine de l'hôtel. Aucune trace des anacondas, des jaguars et des singes qu'il avait espéré trouver là, s'exhibant juste pour lui, perchés au sommet des branches touffues." (p.9)

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24 mai 2016

Walter traîne dans le XIIIème, La Butte-aux-Cailles, c'était le quartier de sa première aventure, "Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles". Fidèle à ses repères, même s'ils ont changé en même temps que le quartier, il reste dans ces rues, se décalant cette fois-ci vers la rue des Frigos. Il n'est pas au mieux de sa forme, tente d'enfouir le fiasco de sa vie -boulot perdu, femme et enfants itou, ou plutôt il les a quittés de peur de leur faire honte ou du mal - avec force verres de bière et d'alcool fort. Il picole dur, fait des mélanges. Il est totalement incontrôlable, lui-même ne sachant pas toujours ce qu'il fait. Néanmoins, il est sympa le pochtron, attachant, il a de la répartie, de l'honneur et il a la biture mélancolique. Il s'étonne des nouvelles architectures parisiennes, des nouvelles rues aux noms improbables, des nouveaux cafés dans lesquels il faut disposer de quinze minutes pour choisir son café tellement la carte est longue et complexe, on est loin des rades d'antan où l'on pouvait prendre son petit noir au zinc : "Alors, vous êtes plutôt Espresso Origine, Ristretto Bianco, Caffe Mocha, Americano, Macchiato, Con Panna, ou peut-être Caffe Latte ?" (p.183). Il s'étonne également des nouvelles enseignes, toutes les mêmes quelles que soient les villes où l'on se promène ("Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté", chante fort à-propos Dominique A), des cartes de fidélité, du marketing effréné, ... tout cela pour toujours nous vendre plus, plus cher.

Ce roman est aussi un constat amer sur la situation de l'école de la république qui dérive dangereusement vers une sorte de privatisation faute d'argent. L'administration ne fait plus dans le social (les réseaux d'aide aux élèves en difficulté disparaissent, les CLIS également) mais plutôt dans le clinquant, l'événementiel... La situation décrite par les deux auteurs paraîtra sans doute exagérée, mais je n'en suis pas sûr (Alain Amariglio a été instituteur, il connaît donc la partie), la dérive envisagée me fait frémir, tant je suis convaincu que s'il existe bien un domaine qui doit rester public, c'est l'école (et là, ne me lancez pas sur le sujet de l'école privée, je risque de m'emporter...) "... nous manquons de places en CLIS, de remplaçants, de psychologue scolaire, et on continue de supprimer des classes ! On nous explique qu'on veut le succès pour tous, mais l'État se défausse sur les collectivités locales et les crédits pédagogiques varient du tout au tout selon la richesse des communes ! Du coup, l'Éducation dite nationale laisse les entreprises privées s'immiscer dans sa mission." (p.281)

Mais n'oublions pas que ce roman est noir, il y a donc intrigue et enquête, menée par Walter. Tout s'imbrique, la situation du nouveau Paris, celle de l'école et la disparition du tableau. Walter avance, doucement, ralenti par la pépie qui l'oblige à s'arrêter dans les cafés, et comme il en ressort bourré, il lui faut le temps que toutes ses connexions neuronales se mettent à jour. Il travaille à l'ancienne, pas de portable, un ordinateur dont il sait à peine se servir, il parle et il écoute et ensuite, lorsque son esprit est clair, il fait les liens. Très bien servi par les quatre mains des auteurs -j'espère qu'il n'y a pas de manchot parmi eux, sinon, mon début de phrase est caduc-, Walter est un anti-héros que j'ai retrouvé et que je retrouverai avec grand plaisir. L'atmosphère mélancolique est très agréable, la langue belle, les dialogues savoureux, Paris très belle même en grand changement. Bref, un très bon roman noir, un grand cru pour rester dans un domaine cher à Walter.

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18 mai 2016

A travers de petits textes, Dominique Ané nous parle de son adolescence à moins que ce ne soit de la fiction, le tout s'emmêlant sans doute, comme le dit Lim Chul-woo, auteur coréen : "Sur le squelette de mes souvenirs d'adolescent, j'ai drapé quelques haillons romanesques". De courts textes qui se répondent entre eux et qui répondent aussi au recueil précédent de l'auteur, "Y revenir", plus centré sur l'enfance. Une suite donc...

La ville est très présente dans ce livre, jamais nommée par son nom, elle est néanmoins le lieu vers lequel le jeune homme narrateur converge pour ses nouvelles expériences. Sans doute le gouffre qui s'est creusé entre lui, "Le Parisien" (parce qu'il habite dans une petite ville) et ses anciennes connaissances de la campagne -et que celles-ci lui font bien sentir-, est-il la source de cette omniprésence de la ville. Et même si l'éveil des sens se fera plutôt assez loin de l'urbanisation, la découverte de l'amitié forte, de l'amour, de la musique, les essais de toutes sortes se feront en ville.

Beaux et courts textes de l'auteur qui habituellement est à peine dissimulé sous son nom de chanteur, Dominique A. Si vous ne le connaissez pas, c'est un tort, écoutez son dernier et somptueux album Eléor, vous verrez des similitudes dans l'écriture -une chanson d'ailleurs s'appelle L'océan. Les textes de Regarder l'océan pourraient aisément se retrouver mis en musique. Ils sont nostalgiques, poétiques, mélancoliques : "La vie me fait peur, mais il faut bien vivre. Un regret, si fort soit-il, n'y suffit pas. J'apprends à me faire aimer, et à aimer moi-même. Cela m'occupe. Mon obsession a perdu de son autorité : j'en viens parfois à douter de la fiabilité de mon souvenir. Je m'en veux alors un peu." (p.41).

De la même génération que Dominique Ané, je me retrouve dans pas mal de ses écrits, dans les états d'âme d'adolescents que nous étions, pas vraiment dans la musique que j'ai découverte assez tardivement et pas en tant qu'interprète mais dans le reste. Nous traînons également dans les mêmes endroits puisque nous nous sommes croisés deux fois récemment, lui descendant d'un navibus (pour les curieux, la signification de ce mot étrange est ici) et moi y montant -la première fois- et vice-versa la seconde ; moi, je l'ai reconnu mais pas l'inverse -ce qui est étonnant car je suis quand même allé deux fois à ses concerts et j'achète ses CD..., m'enfin, me snoberait-il ?- je n'ai pas osé l'aborder et le déranger et d'ailleurs que lui aurais-je dit à part "J'aime bien ce que vous faites... ?", même si c'est vrai que j'aime bien ce qu'il écrit et chante...

Asiathèque

22,00
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18 mai 2016

"Ce livre est singulier. J'y suis plus attaché qu'à mes autres écrits car il contient la chair de mon enfance. (...) Sur le squelette de mes souvenirs d'adolescent, j'ai drapé quelques haillons romanesques. Je ne nie pas qu'il y ait là-dedans une bonne dose d'apitoiement sur moi-même." Ainsi s'exprime Lim Chul-woo sur ce livre écrit en 2002 et traduit en français cette année. On est donc entre l'autobiographie et la vie romancée d'un adolescent pauvre en Corée, au milieu des années 60. Un récit prenant, qu'on ne lâche pas aisément tant il met en scène des gens attachants, qui ne se résignent pas et gardent la tête haute malgré leur pauvreté et les humiliations qu'ils subissent. La galerie des personnages peut ressembler à la Cour des Miracles : des éclopés, des handicapés, des solitaires par choix ou par "destin"... On sent la Corée de ces années-là, la vraie, loin de l'image qu'elle renvoie maintenant, celle d'un pays en pointe de la technologie, à l'économie florissante. On est dans du vécu, loin du misérabilisme malgré la pauvreté de sa famille, Lim Chul-woo ne s'apitoie pas sur-lui même contrairement à ce qu'il peut dire, c'est plutôt une forme de témoignage de ce que furent ces années d'adolescence : un récit d'enfance

Cheol grandit entouré de femmes, l'esprit empli des légendes que sa grand-mère lui racontait, parce que comme pour les autres récits coréens que j'ai lus, il y a une bonne part de légendes, de poésie, de décalage ; des rencontres seront primordiales pour lui, de celles qui aident à se construire et à avancer. L'absence de son père lui est cruelle, il ne peut se résoudre à l'attendre préférant lui inventer des vies voire une mort héroïques.

Un livre très sobre, une belle écriture directe qui ne néglige pas pour autant certains détours vers la poésie, les images. Beaucoup moins barré que ce que j'ai l'u d'autres auteurs coréens (L'art de la controverse, Ping-Pong), c'est un récit linéaire, beaucoup plus sage, empli ainsi que je l'expliquais pour mon article sur Ping-Pong d'onomatopées qui rendent la lecture vive, et étonnent le lecteur européen.. Une autre facette de la production livresque de ce pays qui ne fabrique pas que des matériels de haute technologie, la preuve, sa littérature est très diversifiée, il y en a pour tous les goûts, Le phare est un très beau roman, un beau moyen de découvrir la prose coréenne.