La trêve

Saïdeh Pakravan

Belfond

  • Conseillé par
    12 octobre 2016

    Imaginez un moment de quiétude, un instant suspendu : plus de mauvaises nouvelles, "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes". Les chaines de télévisions et de radio d'informations ne changent rien, elles n'ont rien à dire mais le disent quand même, en boucle, une action lénifiante sur la population qui sort en masse aux cris de "Vive la trêve".

    A travers une multitude de personnages, Saïdeh Pakravan dessine la société étasunienne : les pauvres, les riches, les noirs, les blancs, les latinos, les voyous, les gens honnêtes, les mecs violents, les mecs bien, les femmes indépendantes, les plus soumises qui justement profitent du moment pour accéder à une certaine indépendance... Les envies de meurtres et les potentiels passages à l'acte disparaissent peut-être même définitivement sous un flot d'émotion ou grâce à une reprise de conscience, à une rencontre. Le reproche qui pourra être fait à l'auteure c'est que ses histoires ne se rencontrent pas, qu'elles peuvent paraître déconnectées les unes des autres, qu'on aurait aimé plus de liens entre elles, des rencontres ou des croisements. Et puis, finalement, au fil de la lecture, je me dis que c'est très bien comme cela, que tous ces gens vivent ensemble et séparément ce grand événement qui les bouscule. On s'attache à presque tous les personnages -les gentils- et à toutes les situations qui évoluent au fil des heures, certaines, on ne les rencontre qu'une seule fois, d'autres reviennent, comme Simon, le flic ou Jennifer qui vient de quitter Sam son ami violent. Dans certains cas, on espère que le calme permettra de pérenniser ce qui naît pendant cette journée. Dans d'autres, on se dit que c'est juste un temps de repos avant le déchaînement sans doute inévitable de la violence, probablement même exacerbée par ces quelques heures de liesse populaire.

    Un bien beau roman qui fait entrevoir un autre monde possible, sans violence ; la haine, la jalousie et les rancœurs sont toujours présentes mais chacun fait avec sans céder à la barbarie, aux excès. Ne fuyez pas, il ne s'agit pas d'un livre gnangnan bourré de bons sentiments à deux sous, mais d'une réflexion sur notre société contemporaine, ultra connectée pour le pire souvent - mais aussi pour le meilleur, la preuve, vous pouvez me lire même loin de chez moi- qui entend et voit donc de la violence 24h/24, même les politiciens en rajoutent pour nous faire peur et voter pour eux et leurs programmes sécuritaires, qui, si ma mémoire est bonne n'ont jamais fait baisser les agressions, au contraire. Saïdeh Pakravan pointe les travers des différentes dérives : sectes, addictions, violences conjugales... J'aime bien aussi le point de vue de Simon, le flic, sur cette pratique actuelle, qui veut maintenant qu'à chaque événement malheureux -ou heureux, voyez ces cadenas sur les ponts parisiens-, il faille mettre une bougie sur sa fenêtre, porter un bouquet de fleurs sur le lieu d'une agression ou d'un accident, etc, etc... "Les gens ont la manie de tout transformer en sanctuaire. Pareil quand une personnalité disparaît." (p.333) Comme s'il fallait manifester ostensiblement -comme des moutons, dixit Simon (et moi itou-) ses émotions ou ses états d'âme. On ne peut plus rien cacher, tout doit être montré à tous.

    Malgré ses 430 pages, ce roman se lit tout seul, vite, sa construction en courts chapitres alternant les personnages n'est sans doute pas étrangère à cette sensation de lecture aisée. Belfond qui n'était pas mon éditeur favori, remonte dans mon estime après plusieurs textes franchement bons voire excellents.