La nuit des éventails

Cathy Borie

La Remanence

  • Conseillé par
    7 mai 2016

    Ce qui m'a attiré dans ce roman, c'est la cohabitation de deux histoires totalement dissemblables dans un même ouvrage. Elles ne se ressemblent ni par l'époque, ni par la vie des personnages ni même par le fond, mais elles se retrouvent dans un même livre et se rejoindront sûrement, mais comment ? Cathy Borie alterne les chapitres, un coup Émilien, un coup Clarisse, c'est parfois difficile de faire le grand écart au début, mais après quelques chapitres mon esprit lent s'y est fait.

    D'un côté donc l'histoire de ce jeune homme bercé au Tour de France par deux enfants, livre qui contribua à l'éducation et à l'instruction de nos parents ou grands-parents, qui part seul et qui, à l'aube de la grande guerre trouve sa voie dans les arts ambulants. C'est une histoire assez belle, plutôt légère malgré les temps et les circonstances, faite d'apprentissages, de rencontres, d'amitiés, de travail mais aussi d'insouciance.


    De l'autre côté les affres de la création littéraire. Clarisse veut passer à la fiction, elle en a assez de raconter des morceaux d'elle, et cette pièce qu'elle a écrite et qu'elle monte dans un théâtre parisien est la dernière basée sur sa vie. Ce qui peut paraître-et qui finalement, à la réflexion, ne l'est pas- étonnant c'est que cette femme qui vit un siècle après Émilien, qui a accès a beaucoup plus de choses, qui vit nettement mieux que lui, a plus de soucis existentiels que lui, comme si une certaine facilité engendrait des questionnements profonds qui peuvent mettre à mal, ou si l'on prend le raisonnement à rebours, comme si une activité soutenue, une vie simple sans les tentations, les sollicitations qui peuvent nous envahir et qui n'existaient pas au début du XX° siècle (télévision, radios, Internet,...), protégeait des névroses, des déprimes ou dépressions, tout au moins des questionnements existentiels.

    Bon, revenons à notre Clarisse qui explique très bien son processus d'écriture : "Une fois plongée au cœur de mon intrigue, j'en extrayais la substantifique moelle, je creusais des galeries dans tous les sens, je jouais avec les mots pour qu'ils collent au mieux à l'histoire que je racontais, telle une épaisseur de chair élastique et vivante accrochée à un squelette, et puis, très vite, au bout de cent cinquante ou deux cents pages au maximum, le dénouement s'imposait. Je ne pouvais pas écrire un mot de plus. Le soufflé retombait. Je ressentais alors soulagement et nostalgie, une sorte de baby blues post-partum, mais même si j'avais voulu ajouter dix lignes, je n'y serais pas parvenue. J'avais pressé l'éponge jusqu'à la dernière goutte et rien ne pouvait plus en sortir." (p. 23).

    Eh bien, moi je dis bravo, parce qu'un roman de deux cents pages, ça me va, les pavés, ça me gonfle. Plus sérieusement, j'aime la manière de Cathy Borie de parler de la création littéraire et de construire de son roman : elle mélange habilement fiction, réalité, invention, vécu, histoire des ancêtres, légèreté, profondeur, ... A peine peut-on ressentir une légère frustration parce que l'histoire d'Émilien est un peu occultée par celle de Clarisse, mais c'est le chemin voulu par l'auteure, celui qu'elle veut nous faire suivre et qui nous mène à l'issue de son histoire.

    J'ajoute que, ainsi que le montre l'extrait choisi, le style est beau, les phrases sont longues, travaillées sans être laborieuses ou ampoulées, la lecture du roman est très agréable, fluide, pas de temps mort même si le rythme n'est pas échevelé.

    Beau roman, beau choix des éditions de la Rémanence.