Les solidarités mystérieuses, roman

Pascal Quignard

Gallimard

  • Conseillé par
    13 janvier 2012

    Un livre d'une beauté sombre et mélancolique

    C'est pour la côte bretonne, du côté de Dinard que Claire quitte tout un jour. Sa vie d'avant, le bruit de la ville. Elle s'installe alors dans une petite bicoque prêtée par son ancienne professeur de piano. Là, parmi ces pierres de granit, les cheveux séchés et emmêlés par le vent salé, elle renoue avec son enfance.
    De ses parents, il ne reste rien. Ou plutôt, il reste l'absence. Un accident de voiture provoqué par un homme triste de comprendre que sa femme le quitte ; une femme qui se tue pour avoir été la cause de ce premier suicide.
    Un début de vie assez lourd pour Claire et son frère. Lui, il sera placé en pension, quant à elle, elle sera très vite accueillie par les parents de Simon dans leur boutique.

    Les Solidarités mystérieuses est un roman sur les différentes osmoses qu'on peut croiser sur le chemin de notre vie.
    C'est d'abord Simon pour Claire, cet homme maintenant marié et père, mais pour qui l'attirance ne s'est jamais vraiment démentie ; puis c'est la professeur de piano, même si l'attachement n'est pas le même ; enfin c'est le relation que la jeune femme possède avec son frère Paul. Même si les débuts ont été chaotiques, entre eux existe un joli lien indéfectible.

    Outre ces différentes solidarités mystérieuses, une osmose particulière va naître entre Claire et la côte bretonne. C'est une femme d'extérieure qui se bat pour cette partie malmenée de la Bretagne.

    Claire est une femme blessée mais terriblement forte, mue par une force qu'elle puise sans doute dans la relation qui l'unit à son frère. A deux, c'est toujours plus facile.

    Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse. C'était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l'avait décidé. Bien sûr ils avaient partagé des scènes cruelles, partagé des deuils, quand ils étaient enfants, ils avaient pleuré l'un à côté de l'autre, mais jamais un pacte n'avait été prémédité et conclu entre elle et lui.

    Ce sont des personnages meurtris, malgré les différents liens qui les unissent ; et le style dépouillé, sans grande envolée lyrique, mime la sécheresse des sentiments. L'amour y est à l'état brut, jamais dit, juste ressenti.

    Et le décor, fait de maisons de granit balayée par un fort vent salé, ne fait qu'accentuer cet état sauvage, ce dépouillement inexorable dans lequel s'est engagée Claire.

    Petit à petit elle fera partie de ce paysage, devenant quasiment un fantôme sur cette côte.

    Les solidarités mystérieuses, c'est aussi une multitude de narrateurs, un roman choral qui nous permet de connaître la réalité sous plusieurs angles. Le style change alors selon le narrateur choisi : ainsi les chapitres racontés par Paul sont-ils plus denses, les phrases plus longues, les sentiments à la surface ; au contraire de ceux racontés par Claire, presque des scripts.

    De ce roman, le lecteur retiendra ce paysage offrant tout un camaieu de gris, mais aussi ces personnages solitaires malgré les nombreux liens indéfectibles que la vie leur a permis d'avoir.
    Il y a dans ces solidarités mystérieuses une beauté triste et profonde qui s'échappe.


  • Conseillé par
    1 novembre 2011

    Venue à Saint-Lunaire pour le mariage d’une petite cousine, Claire, une traductrice quarantenaire, redécouvre les lieux de son enfance. Le granit, la lande, les genêts, un monde baigné par la mer et le ciel. Elle rencontre son ancienne professeure de piano Mme Ladon qui lui propose de l’héberger. Son appartement cossu de Versailles vendu, elle rompt les ponts avec son ancienne vie. Libre, elle arpente toute la journée les chemins de la terre sauvage quand elle ne guette pas Simon, son amour de jeunesse. Paul, son frère la rejoint. Claire et et Paul, la sœur et le frère élevés séparément se retrouvent.

    Voilà un livre magnétique dont l’écriture elliptique rend grâce aux paysages de la baie de la Rance et aux relations où l’on se comprend par un regard ou à demi-mots. Solidarités mystérieuses quand une sœur et un frère qui se connaissent si peu, se complètent et s’épaulent.

    Ou plutôt lorsque Paul vient aider Claire toujours amoureuse de Simon désormais marié. La femme de ce dernier, jalouse, met le feu à l’ancienne ferme que madame Ladon prête à Claire. Et Paul arrive au secours de cette sœur, au chevet de Claire avec qui il ne partage que peu de souvenirs. Mais, il existe des liens ténus et invisibles. Il y a longtemps, Claire a rompu ceux du mariage, fuyant son rôle de mère. Juliette, une de ses filles devenue adulte vient à sa rencontre. Sans haine, juste pour passer du temps avec elle et la connaître. Claire s’émacie à marcher des heures durant, à guetter Simon collée à la pierre. Le frère et la sœur deviennent des personnages sculptés par l’air marin en quête d’une paix intérieure et extérieure. Ils se comprennent par un regard, ou par un simple geste. Claire se métamorphose, silhouette cherchant à se fondre dans cet environnement sauvage qu’elle veut protéger. Madame Ladon se meurt, Paul noue une relation amoureuse avec un prêtre. Je n'en dirai pas plus pour que chacun ait le bonheur de découvrir ce roman aux accents énigmatiques!

    Une construction où différents narrateurs interviennent par un jeu d’entrelacs subtils. Plus une histoire qui personnifie la nature en nous offrant des descriptions magnifiques sur un paysage caméléon. Alors oui, j'ai pris mon temps pour savourer ce livre. L’écriture épurée de Pascal Quignard distille une harmonie très sensuelle qui se délecte et dont on s’imprègne. Certains diront ennui et je répondrai beauté de ce que l'on devine.

    Une lecture riche et envoûtante. L'auteur nous ouvre les portes sur un univers sobre et puissant, simple et terriblement beau ! J'ai été très touchée et j’ai refermé ce roman avec un sentiment de sérénité profonde. Un moment rare de lecture !

    Un grand merci à Julien (de Dialogues) qui une fois de plus a vu juste avec ce livre "fait pour moi".